D'abord parce que le fait d'avoir un blog ne vous autorise pas à croire que votre
avis est intéressant. Et il y a une raison bien simple, je ne suis pas assez intrépide pour endurer les inévitables
flamewars à ce sujet. En 3 ans de blog, j'ai furtivement réussi à éviter toute polémique et querelle (vous avez remarqué, pour prendre un autre exemple qui n'a rien à voir, que je n'écris rien sur ce sport de décérébrés fascistes avec un ballon rond malgré toute le refoulement que cela représente après avoir vu beugler la violence chauviniste qui appelait à "
tuer les Portugais et les Italiens" ?).
- Hummm, 1, 2, 3, je me calme.-
Et aussi parce que je n'ai aucune compétence (certes, cela ne m'arrêterait pas d'habitude) et même pas de méthode assurée pour arriver à une opinion un peu informée et pertinente. D'habitude, je me contenterais de ce qu'on appellerait pompeusement un "calcul des conséquences" mais il y a quand même un brouillard de la guerre sur les paramètres et les effets. Donc rien. Motus.
[Sur le méta-débat de l'utilité d'un débat, il y a notamment Kevin Drum qui donne (en réponse à Matthew Yglesias) 5 raisons pour ne pas en parler :
1) cela déclenche des réactions haineuses au lieu de discussions,
2) la situation générale depuis 60 ans (voire plus, il faut remonter aux années 20) paraît impossible à résoudre, en tout cas sans que des parties extérieures puissent aider de manière constructive dans cette génération (voir aussi Yglésias sur la propension à ne pas admettre le fait même du problème, notamment en les "personnalisant"),
3) Ces 60 ans ont apporté d'innombrables faits et contentieux, points de divergence possibles dans les analyses et attributions de responsabilité,
4) les prétendus experts sont partiaux et parfois assez extrêmes dans les deux sens,
5) Toute critique d'un des camps risque d'être suspecte d'arrières-pensées haineuses, d'absence de sens moral et d'irresponsabilité criminelle.
Cf. aussi Fontana Labs qui montre comment le modéré et raisonné Belgravia Dispatch se fait aussitôt accuser de faiblesse coupable par les plus idéologues et les plus hystériques (cf. aussi Poorman).
Il est vrai parfois que je comprends la méfiance sur la manière de traiter ces questions. Ainsi, sans vouloir donner de leçons de morale (non, non, vraiment, je ne serais pas bien placé) et sans tomber dans des accès de paranoïa, je trouve qu'un(e) des rédacteurs de Netlex n'a pas été très bien inspiré(e) dans ses rapprochements. Je suis certain qu'il est possible d'évoquer ce conflit du Proche-Orient sans faire ce genre d'analogies gratuites. Penserait-on à faire ces comparaisons si c'étaient, je ne sais pas, des Indonésiens bombardant des Timorais ?]
Il n'y a aucun sujet de politique internationale (qui ne concerne pourtant que quelques millions de personnes) qui déclenche autant d'attitudes irrationnelles, de cris de haine, d'accusations de partialité, de prises de parti, de jugements condescendants des deux côtés. En soit, c'est déjà un fait remarquable (sans vouloir accuser pour autant une haine inconsciente dirigée contre l'un des camps en présence), le fait que toute la planète s'agite depuis 50 ans sur cette question territoriale alors que d'autres mouvements de population et des irrédentismes passent plus inaperçus. On sait que cette cause locale a été instrumentalisée par de nombreux Etats en raison d'une solidarité imaginaire d'une Nation dispersée sur plusieurs Etats.
L'autre stratégie, surtout depuis 40 ans, a été d'y voir le symbole et le culminant de tout le colonialisme et impérialisme occidental (cela se voit toujours dans le Préambule de la Charte africaine des Droits de l'Homme de 1981, par exemple).
En même temps, il ne serait pas rationnel non plus - ou trop facile - d'éviter tout jugement, mais je crains que le mien ne soit assez mou et prévisible : un Etat a un intérêt normal à se défendre, et des victimes civiles sont parfois inévitables [c'est ainsi qu'on pouvait justifier les bombardements en Afghanistan en 2001-2002], mais même dans son propre intérêt, il ne paraît pas efficace ni juste de détruire les infrastructures de tout le pays en question pour viser seulement un groupe en prétextant que les autres groupes n'ont pas fait assez pour l'arrêter.
On n'a besoin de se fonder sur une quelconque tradition historique de la diplomatie française depuis 39 ans, ou bien d'un point de vue privilégié "d'amitié" avec l'un des peuples, comme certains éditorialistes, pour partager les doutes sur l'intérêt légitime d'un pays agressé à passer immédiatement aux représailles massives qui risquent de déborder la nécessaire défense de ses citoyens et basculer dans un conflit plus long. Israël gagne tous les conflits militaires, mais cela ne suffit pas à résoudre son problème avec ses voisins. Le gouvernement de coalition Kadema-Travailliste n'a aucun intérêt à donner l'image d'une hubris disproportionnée.
Oui, en gros, c'est la position consensuelle et sans efficacité en France, du Monde à Chirac, et c'est pourquoi il n'y a aucun intérêt à essayer de la défendre tant qu'il n'y a pas plus d'arguments en leur faveur ou surtout plus de conséquences pratiques. Je comprends l'ironie de Swissroll qui semble se lasser des "diplomatie-réflexes" de la France (mais qui cite favorablement ce blog qui parle pourtant aussi de réactions "disproportionnées", tout comme Chirac). Il est vrai que la France est mal placée pour parler de juste proportion quand on se souvient des réactions de notre armée en 2004 face aux violences en Côte d'Ivoire.
Je n'exclus pas la possibilité que montrer plus de "retenue" ou de prudence ici n'aurait fait que décrédibiliser la défense de Tsahal face au Hezbhollah et n'aurait eu pour effet qu'inciter à plus d'actions spectaculaires de ces derniers. Mais rien ne montre que cela ne soit pas déjà le cas, donc je ne vois pas trop la force de l'objection. De plus, l'Etat le plus puissant a les moyens de gagner militairement les combats tout en perdant le combat "asymétrique" avec des adversaires qui ont su évoluer ces dernières années (le surdoué et omniscient Billmon a insisté sur le contexte technologique d'évolution de la guerre et des progressions préoccupantes du Hezbollah).
Je suis donc tout à fait panurgien sur l'idée de défense plus proportionnée, dans l'intérêt même d'Israël d'ailleurs. En revanche, contrairement à des blogs modérés, je ne vois pas bien la force de l'analogie que fait Mallenby : "l'Inde n'a pas attaqué le Pakistant après les attentats sanglants de Bombay, donc Israël n'aurait pas dû attaquer la plaine de la Bekaa". Il faudrait de sérieux mutatis mutandis pour que ça marche. D'abord, le Pakistan a condamné l'attentat, et ensuite rien ne prouve que les Terroristes ne sont pas des citoyens indiens [EDIT: Zut, je me croyais original mais Ezra a déjà eu le même argument.]. Mallenby attaque aussi l'Europe parce qu'elle attend l'action américaine, ce qui semble curieux.
Mais de toute façon, les opinions européennes n'ont aucune importance dans ce débat. Le seul pays qui pourrait vraiment faire pression (sur Israël pour modérer les représailles et également sur le gouvernement libanais pour faire pression sur le Hezbollah) est les USA. Non seulement ils ne le feront pas (il y a eu une scène tragi-comique où le Premier ministre libanais Fouad Siniora a dit que Bush était prêt à faire des pressions sur Israël et où Snow le porte-parole de Bush a aussitôt nié l'interprétation de ses propos) mais il y a même le soupçon qu'ils n'en ont aucune envie. Il y a une théorie selon laquelle certains Américains incitent même au conflit, en croyant que cela affaiblirait l'Iran - ce qui paraît un jugement pour le moins "imaginatif", pour ne pas dire contre-productif au moment où on voit que c'est sans doute l'Iran qui peut profiter de ce conflit.
Mais je continue à croire qu'il reste un lambeau de rationalité dans cette Administration. Ils sont cupides, à court terme, incompétents et ont un sérieux vice de wishful thinking, mais ils ne sont quand même pas complètement malades. Après le Fiasco irakien ils ne comptent plus vraiment jouer au "Désordre Créateur" avec la Syrie et l'Iran, qui serait un morceau bien trop lourd pour eux, quand ils sont déjà embourbés inutilement en Irak et en train de se faire dépasser en Afghanistan où ils auraient dû se concentrer en un premier temps. Le problème en un sens est que l'Iran aussi doit faire la même estimation, ce qui gêne les tentatives d'intimidation ou de "dissuasion".
Quant à l'ONU, non seulement les Etats n'oseront pas encore une fois entrer dans cet engrenage mais il faut rappeler que l'ONU a toujours 2500 hommes de diverses nationalités dans la FINUL (opération commencée il y a 28 ans) et que cela n'a jamais emêché l'essor du Hezbollah - qui n'est pour l'instant limité que par les lois libanaises communautaires, y compris depuis Taëf, qui avantagent les Sunnites sur les Chiites (et les Chrétiens sur les Musulmans d'ailleurs, un des problèmes dans la "proportionnalité" communautariste telle qu'elle qu'elle n'est guère pratiquée qu'au Pays du Cèdre).
Ce Blog a centralisé des Blogs israéliens, libanais et palestiniens sur le front. Il y a peu de surprises - même si on trouve heureusement des individus prêts à prendre une difficile distance et distinguer la compassion pour les victimes civiles (dans leur camp et le camp opposé), et le débat politique. Comme dit Billmon, c'est un bon signe de la démocratie en Israël qu'ils arrivent encore, malgré des décennies de guerre contre presque tous ses voisins, à publier plus de critiques contre leur propre guerre que les Américains.