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jeudi 27 juillet 2006

Pilate au Pentagone

Via Tapped et Belgravia Dispatch, la réponse de Donald Rumsfeld (après la visite d'Al-Maliki) quand on lui demande si l'Irak est ou non en guerre civile.

"Oh, je ne sais pas. Vous savez, j'y réflechissais justement hier soir, et méditais sur les mots, sur l'expression et sur ce qui la constitue. Si vous pensez à notre Guerre civile, c'est vraiment très différent. Si vous pensez à des guerres civiles d'autres pays, c'est vraiment assez différent. Il y a pas mal de violence à Baghdad et dans deux ou trois autres provinces, mais pourtant dans les 14 autres provinces, il y a très peu de violence et très peu d'incidents. Donc c'est... c'est une chose très concentrée. Elle est clairement stimulée par des gens qui aimeraient avoir quelque chose qui pourrait être caractérisée comme une guerre civile et la gagner, mais je ne vais être celui qui décidera si, quand ou quoi que ce soit."

Heu... cet homme se drogue ?

Le fait que ce soit concentré surtout dans des zones sunnites pourrait justement être le problème, non ? L'analogie n'a aucun intérêt mais on pourrait prétendre que la Guerre civile américaine aussi était "concentrée" sur seulement "11 Etats sur 34".

J'imagine que les "3 provinces" sont surtout Salah ad Din (Tikrit, Samarra), Al-Anbar (Falloudjah, Haditha) et la capitale Bagdad elle-même. Ces trois zones ont environ 8,7 millions d'habitants (sur 28 millions au total) et la moitié des pertes de la Coalition. Mais d'après cette Carte, il y a quand même des foyers d'insurrection sur le Ninawa (Mossoul) et Babil. Et il y a des zones comme l'At-Ta'mim (Kirkouk) où les soldats américains ont eu peu de pertes mais où les conflits ethniques sont violents. Le Kurdistan a l'air relativement calme hors de Kirkouk mais on peut douter que les muhafadhat chiites soient aussi sereins.

Oui, je sais que cela fait partie de son "personnage", de son sens de l'humour condescendant (on se souvient que lorsque Bagdad était pillée, il disait qu'il ne devait pas y avoir grand chose à voler). Juste avant, quand on lui demande combien d'hommes supplémentaires vont être envoyés il dit qu'il n'a pas le chiffre en tête et quand on le presse, répond, que c'est sans doute "plus qu'une centaine" (c'est un redéploiement de 4000 hommes, plus 400 policiers). Pourrait-il se montrer plus blasé et désabusé ?

Deshabillant Pierre pour habiller Paul, ils se concentrent encore une fois sur Bagdad, peut-être pour protéger la fameuse Zone Verte. Ils disent qu'ils reviendront colmater les zones sunnites comme Al-Anbar ensuite, une fois que Bagdad sera pacifiée par des forces de "police". Mais c'est déjà ce qu'ils disaient en 2003. Ce n'est plus la boite de Pandore, c'est le tonneau des Danaïdes.

mercredi 26 juillet 2006

Plan B : Partition ?

J'avais tort de me moquer de la théorie de tripartition de l'Irak de Leslie Gelb il y a trois ans (copie de l'article). Via le révéré Billmon (who is on a roll), The Independent a la bombe qui fait exploser la fameuse "Boite de Pandore".

"Iraq as a political project is finished," a senior government official was quoted as saying, adding: "The parties have moved to plan B."

He said that the Shia, Sunni and Kurdish parties were now looking at ways to divide Iraq between them and to decide the future of Baghdad, where there is a mixed population. "There is serious talk of Baghdad being divided into [Shia] east and [Sunni] west," he said.

Ils pourraient aussi faire un Mur ?

Ce n'est peut-être qu'un discours isolé mais cela risque d'attirer une invasion turque (ce qui semble commencer). La Turquie n'était déjà pas enchantée par un Irak fédéral mais un Kurdistan indépendant est considéré comme inacceptable. Les USA ont donc promis de passer à l'attaque contre les bases du PKK au nord de l'Irak, dans la zone qui leur était le plus favorable, mais on peut se demander quelle sera la réaction du petit PEJAK (kurde maoïste d'Irak) et même de la coalition gouvernementale kurde qui règne à Erbil.

Nouri al-Maliki, le Premier ministre chiite, tente d'amnistier plus de Baathistes pour désarmer l'insurrection sunnite mais dit que même les Sunnites dans le gouvernement prennent parti pour les rebelles (qui semblent en majorité plus baathistes que jihadistes).

On a un sentiment de panique alors que les Alliés sont contraints d'envoyer encore plus de troupes contrairement à tous les plans affichés. Bush et Blair peuvent être contents que tout le monde regarde Israel et le Hezbollah ou bien leur fiasco serait encore plus impossible à cacher sous le tapis.

mercredi 19 juillet 2006

Phénicie, Aussi

  • J'ai l'impression qu'on mentionne moins les événements de Gaza que ceux au Liban. Peut-être que les responsabilités à Gaza avec l'autorité palestinienne sont trop ambiguës des deux côtés alors que la situation est comparativement plus claire au Liban parce que la résolution 1559 de l'ONU (qui prévoyait le désarmement du Hezbollah) n'a jamais pu être appliquée par le gouvernement libanais. Ou peut-être est-ce ainsi une façon pour les deux camps de se concentrer sur des rapports entre Etats souverains (Israël, Liban mais aussi Syrie) et non avec la position de l'Autorité palestinienne et du Hamas qui ne voulait pas reconnaître même implicitement l'existence de son adversaire.

  • La démographie est le destin refoulé de la politique au Liban. Il n'y a plus de recensement officiel depuis 70 ans pour éviter de montrer l'évolution du pays. Le pays a été séparé de la Syrie par les Français en partie en raison des Chrétiens (il y a aussi des justifications historiques), mais les Musulmans y sont devenus majoritaires au XXe siècle. Le pays aurait seulement 3,5 millions d'habitants (la diaspora libanaise à l'étranger est bien plus vaste), et peut-être 400 000 réfugiés palestiniens (soit plus de 10% de la population) mais aussi une large minorité d'immigrants syriens (peut-être 500 000 à un million). La grande inconnue est le nombre de Chiites. Ils seraient peut-être majoritaires, en tout cas la plus grande minorité.

    Dans le système de répartition des sièges au Parlement (qui est devenu légèrement plus représentatif depuis les accords de Taëf), les Musulmans ont 64 sièges sur 128 (les 64 autres sont répartis entre députés des diverses églises chrétiennes avec 34 pour les Maronites) : 27 pour les Sunnites, 27 pour les Chiites, 8 pour les Druzes, 2 pour les Alaouites. Les Chiites seraient donc 50% de la population mais n'auraient que 21% des sièges (plus le poste de Président du Parlement, depuis 1992 le pro-Syrien Nabih Berri).

    J'ai du mal à compter parmi ces 27 lesquels sont revenus au Hezbollah. Les élections de juin 2005 ont donné 23 sièges du Liban-Sud au Hezbollah et ses alliés chiites, mais au total, le bloc pro-Syrien monte à 35 sièges sur 128. Le Hezbollah proprement dit aurait 14 sièges sur 27 (et non 23 sur 27). Dans le gouvernement du Premier ministre Fouad Siniora (Sunnite), la répartition des portefeuilles a donné au Hezbollah les Affaires étrangères (!), l'Energie et le Travail.

  • Beaucoup d'encre sur la notion de proportionnalité de la disproportion. Tout le monde est d'accord - même des Etats arabes certes sunnites - pour reconnaître que la responsabilité première est l'agression par le Hezbollah (même s'ils vont commencer à jouer l'équivalence face à leurs opinions publiques), et de nombreux pays - même les USA - reconnaissent qu'il y a réaction "disproportion" (mais pas "disproportion disproportionnée", si j'ai bien compris).

    Je ne connais rien au droit, mais la notion de proportionnalité qui est tant évoquée commence à créer un autre débat sur le Vague de la notion. Elle ferait référence à des principes de la Guerre Juste et plus précisément, d'après le Council of Foreign Relations, d'après cette page à des documents internationaux comme l'article 49 des articles sur la responsabilité des Etats. Il y avait déjà eu un débat semblable sur l'Opération "Justice rendue" en 1993 puis Raisins de la Colère en 1996 (de même sur la légalité de l'action préventive de 1980 contre la centrale Osirak).

    Même Beyrouth Est (quartier surtout chrétien) a été bombardé, ce qui n'avait pas été autant le cas en 1982.

    J'ai du mal à trouver un avis stratégique décisif sur la question. Pierre Atlas dit que la disproportion est un choix délibéré nécessaire contre la milice chiite. Ze'ev Shiv dit que c'est une erreur stratégique massive pour l'armée qui risque de la contraindre à un engagement terrestre puisque la supériorité aérienne ne peut pas suffire à une victoire - on a peut-être un cas de Supériorité stratégique de la retenue.

  • Je ne suis pas toujours sûr de voir la continuité des opinions de Fred Kaplan mais en gros il a l'air de vouloir rester descriptif tout en donnant des arguments pour que le conflit dure le moins longtemps. Il dit le 18 que la guerre pourrait durer mais qu'Israël n'a pas intérêt à envahir alors qu'elle pourrait encore avoir un avantage diplomatique et que le Hezbollah est très isolé. Le lendemain, il dit que le temps joue en la faveur du Hezbollah et qu'Israël commet l'erreur de croire que l'action va l'aider lors des négociations après le cessez-le-feu. Puis, il dit que seul un plan USA-ONU pourrait arrêter le conflit avant qu'il n'aille plus loin.

  • Blogorrhée explique pourquoi Israël y aurait gagné à traîner le Hezbollah devant le TPI au lieu de courir le risque de transgresser le jus in bello dans les bombardements.

  • On dit souvent qu'une des raisons du Hezbollah pour la prise d'otages et les tirs actuels est d'obtenir une libération de prisonniers plus large que le dernier échange de 2004. Ainsi, un correspondant libanais du Guardian disait que c'était une "cause célèbre" comme on dit en anglais, et l'envoyé spécial de L'Humanité écrit : "Trois Libanais sont toujours détenus dans les geôles israéliennes dont l’un depuis plus de vingt ans."

    Dans un souci d'exhaustivité, le correspondant pourrait rappeler pourquoi.

    Samir Kuntar (on retranscrit parfois Al-Kuntar, Qantar, Kantar) est en effet en prison depuis 26 ans (son site de soutien fait étrangement l'économie des raisons pour lesquelles il est détenu).

    Le 22 avril 1979, Samir Kuntar (alors âgé de 17 ans), traversa la frontière du Liban avec trois complices, tua un policier israélien et prit deux otages dans une maison à Nahariya, près de la frontière. Kuntar semble certes être citoyen libanais mais son geste fut guidé par le Front de Libération de la Palestine d'Abou Abbas (qui est depuis mort en Irak en 2004). Kuntar n'était évidemment pas membre du Hezbollah puisque le parti chiite ne fut créé que dans les années 80 et qu'il n'est d'ailleurs même pas chiite mais druze.

    Il faut rappeler que c'était trois ans avant l'invasion israélienne du Liban et qu'il voulait protester contre les accords de Camp David entre Israel et l'Egypte.

    Ensuite, il assassina de sang froid un civil israélien (Danny Haran, 28 ans) et sa fille (Einat, 4 ans, tuée à coups de crosse - sa soeur de 2 ans mourut quand sa mère tenta de la sauver, cf. son témoignage).

    Kuntar fut arrêté et condamné en 1979 à la prison à perpétuité (Israël a aboli en 1954 la peine de mort pour les crimes de droit commun, le seul condamné à mort de toute son histoire fut Adolf Eichmann en 1962 pour participation au génocide juif en Europe). Lors du dernier échange où Israel renvoya 435 prisonniers de guerre, la nature de son crime fit qu'il fut le seul à ne pas être pris en compte.

    Bien entendu (mais ça va mieux en le disant), rappeler cela n'implique pas que l'échange ne puisse être utile ou nécessaire, mais simplement que M. Kuntar peut être 26 ans dans les "geoles" comme dit le correspondant sans être Nelson Mandela (contrairement à ce que dit ce texte ridicule de son frère). Le choix de l'ellipse peut se justifier mais il trahit parfois une sorte de dissonnance cognitive : ne mentionnons pas les causes afin de pouvoir les nier. Quels que soient les crimes de guerre, on n'obtient jamais de paix sans des amnisties, mais il n'y a pas d'équivalence "naturelle" entre les prises d'otage actuelle de soldats et ce prisonnier libanais arrêté et jugé sur le sol israélien.

    Les Libanais réclament aussi la libération de Yéhia Skaff et Nassim Nisr.

    Skaff est considéré comme disparu depuis 78 et non prisonnier, on ne sait pas ce qui serait arrivé au corps. Le cas de Nisr est le plus intéressant parce qu'il avait acquis la nationalité israélienne mais est le seul des trois Libanais à avoir eu des contacts avec le Hezbollah. RFI en parle :

    Toutefois, Israël ne reconnaît pas la présence dans ses prisons de Skaff, membre d’un commando du Fatah de Yasser Arafat qui avait attaqué un bus en Israël, en 1978.

    Quant à Nassim Nisr, il refuse d’en parler avec le Hezbollah parce qu’il est détenteur de la nationalité israélienne. En réalité, Nisr est originaire du même village que Nasrallah au Liban-Sud. De mère juive, il avait été envoyé pour infiltrer la société israélienne avant d’être démasquer et arrêté.

    Les 3 prisonniers semblent donc être des prétextes symboliques plus qu'autre chose pour le Hezbollah. Les vraies raisons sont plutôt de montrer qu'ils peuvent continuer à attaquer le nord pendant longtemps et peut-être se renforcer au Liban.

  • lundi 17 juillet 2006

    Pax americana et economica

    Non, sans ironie, je voulais juste revenir sur cette dépêche il y a 15 jours, qui devrait quand même contrecarrer la morosité. On a beau parler plus de guerres que pendant la Guerre froide, il y en a en fait de moins en moins dans ce monde uni-polaire / multipolaire.
    The Stockholm International Peace Research Institute's newly released Yearbook 2006, drawing from data maintained by Sweden's Uppsala University, reports the number of active major armed conflicts worldwide stood at 17 in 2005, the lowest point in a steep slide from a high of 31 in 1991.

    The Uppsala experts added one conflict to their list in 2005: the resurgent war that pits the four-year-old Afghan government and its US-led allies against fighters of the ousted Taliban.
    But they also subtracted three conflicts: those that ended in Rwanda, southern Sudan and Algeria, joining such other recent additions to the "peace" column as Liberia and Indonesia's Aceh province.

    The deadliest war of 2005 was the complex conflict in Iraq, where estimates say a minimum of 50,000 people have been killed since the US-British invasion of 2003. The oldest conflict, dating to 1948, is the separatist struggle of the Karen people in Myanmar, or Burma.

    En plus de la fin de la Guerre froide (le sommet est en 91), ils citent comme facteurs principaux depuis les années 90 la croissance économique en Asie et les succès d'organisations comme l'ONU et l'Union africaine. Il ne faudrait pas que les massacres de masse au Soudan fassent oublier que globalement l'Union africaine a au moins réussi à baisser le nombre de conflits interétatiques.

    Non, je n'en parlerai pas

    D'abord parce que le fait d'avoir un blog ne vous autorise pas à croire que votre avis est intéressant. Et il y a une raison bien simple, je ne suis pas assez intrépide pour endurer les inévitables flamewars à ce sujet. En 3 ans de blog, j'ai furtivement réussi à éviter toute polémique et querelle (vous avez remarqué, pour prendre un autre exemple qui n'a rien à voir, que je n'écris rien sur ce sport de décérébrés fascistes avec un ballon rond malgré toute le refoulement que cela représente après avoir vu beugler la violence chauviniste qui appelait à "tuer les Portugais et les Italiens" ?).

    - Hummm, 1, 2, 3, je me calme.-

    Et aussi parce que je n'ai aucune compétence (certes, cela ne m'arrêterait pas d'habitude) et même pas de méthode assurée pour arriver à une opinion un peu informée et pertinente. D'habitude, je me contenterais de ce qu'on appellerait pompeusement un "calcul des conséquences" mais il y a quand même un brouillard de la guerre sur les paramètres et les effets. Donc rien. Motus.

    [Sur le méta-débat de l'utilité d'un débat, il y a notamment Kevin Drum qui donne (en réponse à Matthew Yglesias) 5 raisons pour ne pas en parler :
    1) cela déclenche des réactions haineuses au lieu de discussions,
    2) la situation générale depuis 60 ans (voire plus, il faut remonter aux années 20) paraît impossible à résoudre, en tout cas sans que des parties extérieures puissent aider de manière constructive dans cette génération (voir aussi Yglésias sur la propension à ne pas admettre le fait même du problème, notamment en les "personnalisant"),
    3) Ces 60 ans ont apporté d'innombrables faits et contentieux, points de divergence possibles dans les analyses et attributions de responsabilité,
    4) les prétendus experts sont partiaux et parfois assez extrêmes dans les deux sens,
    5) Toute critique d'un des camps risque d'être suspecte d'arrières-pensées haineuses, d'absence de sens moral et d'irresponsabilité criminelle.
    Cf. aussi Fontana Labs qui montre comment le modéré et raisonné Belgravia Dispatch se fait aussitôt accuser de faiblesse coupable par les plus idéologues et les plus hystériques (cf. aussi Poorman).

    Il est vrai parfois que je comprends la méfiance sur la manière de traiter ces questions. Ainsi, sans vouloir donner de leçons de morale (non, non, vraiment, je ne serais pas bien placé) et sans tomber dans des accès de paranoïa, je trouve qu'un(e) des rédacteurs de Netlex n'a pas été très bien inspiré(e) dans ses rapprochements. Je suis certain qu'il est possible d'évoquer ce conflit du Proche-Orient sans faire ce genre d'analogies gratuites. Penserait-on à faire ces comparaisons si c'étaient, je ne sais pas, des Indonésiens bombardant des Timorais ?]

    Il n'y a aucun sujet de politique internationale (qui ne concerne pourtant que quelques millions de personnes) qui déclenche autant d'attitudes irrationnelles, de cris de haine, d'accusations de partialité, de prises de parti, de jugements condescendants des deux côtés. En soit, c'est déjà un fait remarquable (sans vouloir accuser pour autant une haine inconsciente dirigée contre l'un des camps en présence), le fait que toute la planète s'agite depuis 50 ans sur cette question territoriale alors que d'autres mouvements de population et des irrédentismes passent plus inaperçus. On sait que cette cause locale a été instrumentalisée par de nombreux Etats en raison d'une solidarité imaginaire d'une Nation dispersée sur plusieurs Etats.
    L'autre stratégie, surtout depuis 40 ans, a été d'y voir le symbole et le culminant de tout le colonialisme et impérialisme occidental (cela se voit toujours dans le Préambule de la Charte africaine des Droits de l'Homme de 1981, par exemple).

    En même temps, il ne serait pas rationnel non plus - ou trop facile - d'éviter tout jugement, mais je crains que le mien ne soit assez mou et prévisible : un Etat a un intérêt normal à se défendre, et des victimes civiles sont parfois inévitables [c'est ainsi qu'on pouvait justifier les bombardements en Afghanistan en 2001-2002], mais même dans son propre intérêt, il ne paraît pas efficace ni juste de détruire les infrastructures de tout le pays en question pour viser seulement un groupe en prétextant que les autres groupes n'ont pas fait assez pour l'arrêter.

    On n'a besoin de se fonder sur une quelconque tradition historique de la diplomatie française depuis 39 ans, ou bien d'un point de vue privilégié "d'amitié" avec l'un des peuples, comme certains éditorialistes, pour partager les doutes sur l'intérêt légitime d'un pays agressé à passer immédiatement aux représailles massives qui risquent de déborder la nécessaire défense de ses citoyens et basculer dans un conflit plus long. Israël gagne tous les conflits militaires, mais cela ne suffit pas à résoudre son problème avec ses voisins. Le gouvernement de coalition Kadema-Travailliste n'a aucun intérêt à donner l'image d'une hubris disproportionnée.

    Oui, en gros, c'est la position consensuelle et sans efficacité en France, du Monde à Chirac, et c'est pourquoi il n'y a aucun intérêt à essayer de la défendre tant qu'il n'y a pas plus d'arguments en leur faveur ou surtout plus de conséquences pratiques. Je comprends l'ironie de Swissroll qui semble se lasser des "diplomatie-réflexes" de la France (mais qui cite favorablement ce blog qui parle pourtant aussi de réactions "disproportionnées", tout comme Chirac). Il est vrai que la France est mal placée pour parler de juste proportion quand on se souvient des réactions de notre armée en 2004 face aux violences en Côte d'Ivoire.

    Je n'exclus pas la possibilité que montrer plus de "retenue" ou de prudence ici n'aurait fait que décrédibiliser la défense de Tsahal face au Hezbhollah et n'aurait eu pour effet qu'inciter à plus d'actions spectaculaires de ces derniers. Mais rien ne montre que cela ne soit pas déjà le cas, donc je ne vois pas trop la force de l'objection. De plus, l'Etat le plus puissant a les moyens de gagner militairement les combats tout en perdant le combat "asymétrique" avec des adversaires qui ont su évoluer ces dernières années (le surdoué et omniscient Billmon a insisté sur le contexte technologique d'évolution de la guerre et des progressions préoccupantes du Hezbollah).

    Je suis donc tout à fait panurgien sur l'idée de défense plus proportionnée, dans l'intérêt même d'Israël d'ailleurs. En revanche, contrairement à des blogs modérés, je ne vois pas bien la force de l'analogie que fait Mallenby : "l'Inde n'a pas attaqué le Pakistant après les attentats sanglants de Bombay, donc Israël n'aurait pas dû attaquer la plaine de la Bekaa". Il faudrait de sérieux mutatis mutandis pour que ça marche. D'abord, le Pakistan a condamné l'attentat, et ensuite rien ne prouve que les Terroristes ne sont pas des citoyens indiens [EDIT: Zut, je me croyais original mais Ezra a déjà eu le même argument.]. Mallenby attaque aussi l'Europe parce qu'elle attend l'action américaine, ce qui semble curieux.

    Mais de toute façon, les opinions européennes n'ont aucune importance dans ce débat. Le seul pays qui pourrait vraiment faire pression (sur Israël pour modérer les représailles et également sur le gouvernement libanais pour faire pression sur le Hezbollah) est les USA. Non seulement ils ne le feront pas (il y a eu une scène tragi-comique où le Premier ministre libanais Fouad Siniora a dit que Bush était prêt à faire des pressions sur Israël et où Snow le porte-parole de Bush a aussitôt nié l'interprétation de ses propos) mais il y a même le soupçon qu'ils n'en ont aucune envie. Il y a une théorie selon laquelle certains Américains incitent même au conflit, en croyant que cela affaiblirait l'Iran - ce qui paraît un jugement pour le moins "imaginatif", pour ne pas dire contre-productif au moment où on voit que c'est sans doute l'Iran qui peut profiter de ce conflit.

    Mais je continue à croire qu'il reste un lambeau de rationalité dans cette Administration. Ils sont cupides, à court terme, incompétents et ont un sérieux vice de wishful thinking, mais ils ne sont quand même pas complètement malades. Après le Fiasco irakien ils ne comptent plus vraiment jouer au "Désordre Créateur" avec la Syrie et l'Iran, qui serait un morceau bien trop lourd pour eux, quand ils sont déjà embourbés inutilement en Irak et en train de se faire dépasser en Afghanistan où ils auraient dû se concentrer en un premier temps. Le problème en un sens est que l'Iran aussi doit faire la même estimation, ce qui gêne les tentatives d'intimidation ou de "dissuasion".

    Quant à l'ONU, non seulement les Etats n'oseront pas encore une fois entrer dans cet engrenage mais il faut rappeler que l'ONU a toujours 2500 hommes de diverses nationalités dans la FINUL (opération commencée il y a 28 ans) et que cela n'a jamais emêché l'essor du Hezbollah - qui n'est pour l'instant limité que par les lois libanaises communautaires, y compris depuis Taëf, qui avantagent les Sunnites sur les Chiites (et les Chrétiens sur les Musulmans d'ailleurs, un des problèmes dans la "proportionnalité" communautariste telle qu'elle qu'elle n'est guère pratiquée qu'au Pays du Cèdre).

    Ce Blog a centralisé des Blogs israéliens, libanais et palestiniens sur le front. Il y a peu de surprises - même si on trouve heureusement des individus prêts à prendre une difficile distance et distinguer la compassion pour les victimes civiles (dans leur camp et le camp opposé), et le débat politique. Comme dit Billmon, c'est un bon signe de la démocratie en Israël qu'ils arrivent encore, malgré des décennies de guerre contre presque tous ses voisins, à publier plus de critiques contre leur propre guerre que les Américains.

    Le triangle centrafricano-tchado-soudanais

    Il est curieux que les journalistes n'aient pas insisté quand Jacques Chirac a mentionné cela dans sa réponse sur le Darfour lors de son interview du 14 juillet :

    Le Tchad, incontestablement, est déstabilisé d'abord par les réfugiés qui arrivent massivement du Soudan. Nous nous en occupons comme on peut. Mais aussi la République centrafricaine qui est aussi en voie d'être déstabilisée.

    Chirac faisait allusion à la décision prise la veille, d'après la presse de Bangui, d'envoyer plus de troupes en RCA. En raison de nos habitudes monarchistes du "Domaine réservé", cela ne semble pas faire débat. La presse française n'a pas l'air de mentionner le sujet de la RCA, si j'en crois Google News (aucune mention à part la presse africaine francophone) .

    La République centrafricaine (profile BBC) est plus vaste que la France métropolitaine et a environ 4 millions d'habitants.

    Le pays - qui fut "l'Empire" de Bokassa - est actuellement dirigé par François Bozizé, qui a renversé son ancien allié, le Président Ange-Felix Patassé en mars 2003. Bozizé fut ensuite élu Président (65%) au deuxième tour en mai 2005 dans des élections pluralistes face à Martin Ziguélé, qui représentait Patassé (en exil et interdit par Bozizé).

    Pendant ses années de guerre contre Patassé, Bozizé avait reçu le soutien du Tchad du Président Idriss Deby (gouvernement soutenu par la France) alors que Patassé était soutenu par la Libye.

    Les violences de la rebellion ont repris dès juin 2005, notamment au nord. L'opposition centrafricaine semble très divisée et Patassé, en exil au Togo, a été abandonné par son ancien Parti, le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) de Martin Ziguélé.

    Bozizé accuse des rebelles tchadiens opposés au régime d'Idriss Deby et qui occuperaient le nord de la Centrafrique. Idriss Deby dénonce pour sa part une déstabilisation qui viendrait du Soudan et les rebelles tchadiens du Front uni pour le Changement (FUC, sic), alliés au centrafricain Abdoulaye Miskine (et sans doute également à Ange-Félix Patassé).

    La situation a déjà déplacé des douzaines de milliers de Centrafricains, fuyant le nord du pays vers le Tchad ou vers le sud.

    L'ONU a une mission en RCA depuis 2002, la FOMUC (Force multinationale en Centrafrique), qui devait originellement protéger la stabilité du régime de Patassé. Ce sont 380 hommes qui viennent du Tchad, du Gabon et du Congo. Depuis le coup d'Etat de Bozizé et son élection, la FOMUC doit sécuriser le territoire.

    D'après le Ministère de la Défense, la France avait le 1er juillet 200 hommes en République centrafricaine dans l'opération Boali (du nom d'une ville au sud) avec la FOMUC. Elle a toujours 1100 hommes au Tchad dans l'opération Epervier [pour comparer, sur les 11 060 hommes en opérations extérieures, il y en a 4000 en Côte d'Ivoire, 2500 dans les Balkans et 1800 en Asie Centrale].

    Depuis cette semaine d'après ces Dépêches ONU, un soutien logistique important et un nombre non spécifié de soldats ont été envoyés en RCA pour lutter contre les rebelles.

    Headheeb fait part de ses inquiétudes :

    Like the conflicts themselves, France's involvement will be hard to contain within the borders of a single country, and it's far from certain that the French government is prepared for all the potential consequences. Even if the French troops provide some temporary stability within the CAR, they're as likely to make the overall regional situation worse as better. A piecemeal approach to any of these conflicts isn't going to work; what's needed, as I've argued before, is an international peacekeeping and reconstruction program with a mandate that includes all three countries.

    En un sens, c'est peut-être trop pessimiste.

    Le régime de Bozizé semble à première vue encore solide - même si le fait qu'il ait limogé des officers n'est pas très bon signe. L'opposition est morcelée. Ziguélé n'a fait que 35% des voix au second tour. Patassé était devenu - si je ne suis pas victime de propagande française - vraiment impopulaire. Si on ne soutenait pas Bozizé, on nous ferait le reproche inverse de l'abandonner après avoir déjà laissé tomber Patassé.

    Mais tout cela illustre que malgré nos paroles sur le Darfour, notre seule action concrète dans la région est toujours pour soutenir le régime tchadien - quelles que soient les dérives autoritaires d'Idriss Deby. L'ami de la France Idriss Deby, comme Hissène Habré (le Pinochet africain) avant lui, est considéré comme responsable de douzaines de milliers de disparitions et d'exécutions extra-judiciaires.

    Mais si on suit les analyses d'Alex De Waal, il n'est peut-être pas si mal que la France ne tente pas plus d'agir au Darfour tant que l'Union africaine ne pourra pas renforcer sa Mission au Soudan.

    Theme original par Stephane Sulikowski modifie par Shinoli