Une des choses qui me fait le plus rire dans la figure tutélaire de Ségolène Royal en nouvelle Marianne et Passionaria du PS est à quel point elle pourrait correspondre à certaines intuitions de la "théorie" dite des "cadres (il y a une traduction canonique de "Framing" ?) de George Lakoff, qui voit la Gauche contemporaine sous une figure "féminine" et "maternelle" (en caricaturant une simplification d'un schéma, comme on le corrigera plus bas).
Or (ceci est une tentative de faire croire qu'il y a une transition), il y a pas mal de polémiques amusantes à ce sujet en ce moment.
Lakoff, qui a 66 ans, fut au départ un linguiste, un étudiant rebelle de Chomsky qui participa contre le modèle dominant de Grammaire transformationnelle au mouvement de la "Sémantique générative", dans ce qu'on a appelé la Guerre des Linguistiques.
Puis il est passé de ce programme de sémantique [qui ne me semble pas vraiment l'avoir emporté] à des thèses plus générales sur la psychologie cognitive (ou "linguistique "cognitive", assez différente du programme dominant dans le cognitivisme computationnel classique) et le rôle de nos métaphores et de notre corps propre dans notre langage et dans nos représentations.
Récemment, il a écrit sur le rôle des "cadres" (Frames) du point de vue politique, étudiant comment des cadres généraux implicites joueraient un rôle central dans nos évaluations et nos débats.
Le modèle simple auquel il était arrivé était que l'opposition droite-gauche recoupait désormais un modèle "familial" simple, le "Père Strict" contre "le Parent Protecteur" (en fait "Nurturant", pas facile à traduire, "nourissante et formatrice", la nurture étant la culture, l'éducation et pas seulement le Soin). Lakoff est un liberal modéré (contrairement à l'anarcho-syndicaliste Chomsky) et il dit vouloir aider la gauche en "vendant" ses idées dans des cadres optimaux. Il participe même à une Fondation qui cherche à affuter ces cadres pour le Parti démocrate.
Toute critique de cette théorie peut s'appuyer sur les nombreuses notes de Mixing Memory, un des meilleurs blogs de psychologie cognitive qui est souvent revenu sur les problèmes des cadres et des "métaphores conceptuelles".
Récemment, le linguiste innéiste Steven Pinker (qui est sur certains points un hyper-chomskyen, même s'il est encore plus attaché à un programme naturaliste et une explication évolutionniste que les Chomskyens orthodoxes) a écrit une recension très critique contre les idées de recadrage des métaphores.
Il ironise sur l'image même du "Parent Protecteur" :
The metaphors in our language imply that the nurturing parent should be a mother, beginning with "nurture" itself, which comes from the same root as "to nurse." Just think of the difference in meaning between "to mother a child" and "to father a child"! The value that we sanctify next to apple pie is motherhood, not parenthood, and dictionaries list "caring" as one of the senses of "maternal" but not of "parental," to say nothing of "paternalistic," which means something else altogether. But it would be embarrassing if progressivism seemed to endorse the stereotype that women are more suited to nurturing children than men are, even if that is, by Lakoff's own logic, a "metaphor we live by." So political correctness trumps linguistics, and the counterpart to the strict father is an androgynous "nurturant parent."
Pinker n'a pas lu Chris, qui répondait déjà à cet argument et expliquait que le modèle incluait bien les deux parents - dans notre contexte français Ségolène et le référent-père Flanby.
Contrairement à la rumeur (qui vient de sa croisade en faveur de formes fortes de l'innéisme et donc de l'idée de Nature humaine), Pinker n'est pas un conservateur et il rappelle que s'il attaque Lakoff c'est en tant que Démocrate (certes modéré) qui se défie de ses analyses. Il renverse même toute l'analyse du cadrage en disant que ce sont les cadres mêmes de Lakoff qui deviendraient des cadres conservateurs et des cadeaux dont les Libéraux devraient se défier :
There is no shortage of things to criticize in the current administration. Corrupt, mendacious, incompetent, autocratic, reckless, hostile to science, and pathologically shortsighted, the Bush government has disenchanted even many conservatives. But it is not clear what is to be gained by analyzing these vices as the desired outcome of some coherent political philosophy, especially if it entails the implausible buffoon sketched by Lakoff. Nor does it seem profitable for the Democrats to brand themselves as the party that loves lawyers, taxes, and government regulation on principle, and that does not believe in free markets or individual discipline. Lakoff's faith in the power of euphemism to make these positions palatable to American voters is not justified by current cognitive science or brain science. I would not advise any politician to abandon traditional reason and logic for Lakoff's "higher rationality."
La réponse de Lakoff est encore plus dure et utilise la même technique d'inversion d'accusation, accusant Pinker d'être resté prisonnier d'un mécanisme du XVIIe siècle (alors que c'est la cible constante de Pinker), qu'il est justement victime d'anciens "cadres" périmés. Lakoff rappelle qu'il n'est pas un relativiste défendant une simple forme utilitaire de sophistique. Il ne cherche pas des euphémismes politiquement corrects mais des cadres plus adéquats pour mieux exprimer un même fond idéologique (encore une fois, cette explication se trouvait déjà chez Chris parmi les erreurs d'interprétation).
Le linguiste Geoffrey Nunberg - qui vient d'ailleurs de publier Talking Right: How Conservatives Turned Liberalism into a Tax-Raising, Latte-Drinking, Sushi-Eating, Volvo-Driving, New York Times-Reading, Body-Piercing, Hollywood-Loving, Left-Wing Freak Show est revenu plusieurs fois sur Lakoff.
Il racontait comment la droite attaque le Démocrate Lakoff comme un gauchiste chomskyen, par simple association biographique, alors que les Chomskyens et les Lakoffiens ne cessent de se taper dessus.
Mais surtout, Nunberg a un long article sur TNR (donc le même magazine démocrate modéré que Pinker) qui analyse à la fois la polémique entre Pinker et Lakoff et qui reforme de manière plus précise les critiques contre la théorie du cadrage de Lakoff .
[Pour défendre Lakoff pour une fois, Nunberg exagère en disant que l'affaire n'avait rien à voir avec toute une autre polémique récente sur les déterminismes sexuels, celle qui avait fait démissionner Monique Canto-Sperber un Directeur d'une célèbre institution universitaire, puisque c'est Pinker qui avait déjà attaqué Lakoff sur ce sujet. ]
Nunberg dit que les deux modèles du Père Strict et du Parent Protecteur sont une sorte d'idéal-type psychologique qui rapproche plus Lakoff du réductionnisme de Pinker qu'il ne le croit. Le problème dans les deux cas serait de ne pas tenir compte du fait qu'il y a des déterminismes sociaux qui ne dépendent pas uniquement de ces deux "pôles" psychologiques censés être présents en chacun de nous.
Un tel modèle "familial" risque de faire oublier des déterminations économiques, ce qui est justement ce qu'espèrent certains Conservateurs qui agitent le concept fumeux de "Guerre des Valeurs", nouvel épisode d'un Kuturkampf entre ascèse puritaine (les prétendues "valeurs familiales") contre casuistique, ou augustinisme versus un pélagianisme archétypal de la gauche.
Over the last few decades, the right has managed to reconfigure the polarities of American politics so that economic divisions are trumped by the bogus cultural distinctions of the "red-blue" divide, and in the process "liberal" and "conservative" have been redefined as opposing social styles or personality types, rather than as contrasting philosophies of government. Indeed, listening to the talk shows on Fox News, you might have the impression that the two sides are really distinct political genders. As it happens, that picture of an America riven into two distinct nations--"more divided than at any time since the Civil War," as people sometimes say--has no empirical reality for the mass of ordinary Americans, as researchers as politically diverse as Alan Wolfe and Morris Fiorina have shown at some length. But once you start thinking of liberals and conservatives as distinct kinds of people, divided by deep moral differences that grow out of their early family experience, then it's easy to fall into the hyper-moralizing rhetoric of political polarization.
[Attention, ici, on repasse à n'importe quoi sans rapport. ]
Et cela, en passant, est encore un problème récurrent chez ceux qui veulent justement critiquer certains excès libéraux-libertaires (c'est-à-dire "mai 68" dans les références françaises) mais finissent par ne plus parler que de ces éléments moraux ou la crise de la culture.
De même, le cadrage de Ségolène Royal peut gêner lorsqu'elle défend par exemple les centres encadrés par l'amée pour délinquants, par sa fonction de mère ("Je ferai(s) au pays ce que j'aurais fait pour mes enfants", variante certes nettement plus rassurante que la privatisation berlusconienne "Je ferai au pays ce que j'aurais fait avec mon empire kleptocratique").
Ce n'est peut-être qu'une simple dérive, mais cela revient à négliger que depuis à peu près les Politiques d'Aristote il y a 2300 ans on distingue en démocratie la sphère domestique de l'espace public du citoyen. Je ne dis pas que ce "paternalisme" (ou plutôt "matriarchisme") aille très loin ou qu'il fasse trop lire dans ces quelques fragments (il y aurait pour le coup du sexisme à prendre trop au sérieux cet essentialisme ségoliste). Il peut même être parfois efficace dans le message de "Protection sociale" dans notre crise du modèle européen mais il risque d'enfermer aussi dans l'oubli des autres domaines politiques.
Par ailleurs, Nicolas [en] d' AΨι a des commentaires plus sérieux sur les conceptions politiques de Royal sur "l'égalité réelle".