vendredi 27 octobre 2006
Exclusif : de notre envoyée spéciale au Zénith
Impression d'ensemble : j'ai la voix cassée, mais je
m'ai bien amusée (car la faute de français est bien portée ce soir, ainsi que la
mauvaise liaison).
À lire aussi :
Le
Monde,
Libé
et encore
Libé,
et
le
Figaro.
Sur le chemin du Zénith, je reçois trois tracts : un pour un meeting de DSK
samedi après-midi ; le second pour une réunion de soutien à Fabius dans le nord
et l'est parisiens, le troisième qui dit : "tendu ? à bout ?" -- "retrouvez le
goût dégustez la vie, croire c'est la vie". Un tract de Ségo ? Non, de
l'Eglise adventiste du 7e jour.
Pendant que la salle se remplit (presque à ras bord), la sono diffuse une
chanson qui dit "C'est toujours les mêmes", et sur la buvette ambulante on lit :
"Découvrons le vrai goût". Mon voisin se demande si tout cela est voulu.
Sur la scène, un seul pupitre et les huit premiers secrétaires fédéraux d'Île de
France sur la scène, avec un certain Jean-Paul (il oublie de se présenter)
président du comité régional. Il trouve le temps de plaider pour une
organisation régionale du parti, comme dans les autres partis socialistes, qui
sont nos amis. On ne s'appelle d'ailleurs plus tellement camarades ; nous sommes
tous amis.
C'est Delanoë qui s'y colle le premier : il dit aux candidats que leur
geste est "intense" et "beau", et comme il parle sans notes il a du mal à
trouver des synonymes pour l'un et l'autre adjectif. Il fait applaudir
Mitterrand et Jospin, et propose le Serment du Zénith : l'unité du parti. Au
cours de la soirée, Mitterrand et Jospin reviennent d'ailleurs souvent, parfois
précédés de Jaurès, de Blum et même de Mendès France chez Fabius. Jospin est
ainsi devenu homme d'État, c'est-à-dire homme politique du passé.
Les règles sont strictes (mais je n'ai pas de montre pour vérifier les temps de
parole) : pour chaque candidat, un quart d'heure d'introduction, puis 4 minutes
pour chacune des trois questions tirées au sort : la première sur les banlieues,
la deuxième sur la précarité et la dernière sur l'Europe. Tout à la fin, trois
minutes de conclusion dans l'ordre inverse du passage.
C'est Fabius qui commence. Tout son argumentaire se fonde sur le programme du
parti : "des idées nouvelles jaillissent, je propose l'idée la plus nouvelle :
appliquer le programme" [citation approximative] (rires). En tapant sur la
droite, il reprend la chrono depuis 2002 : 2003, les retraites ; 2004, les
élections régionales ; 2005... bronca dans la salle, évidemment. Il fait
carrément lyrique sur l'écologie, sur la catastrophe à laquelle court la planète
si on n'applique pas le programme du parti ; il détaille les propositions
institutionnelles du parti, et trouve que le pacte de l'Elysée, c'est nul, qu'il
faut plutôt un pacte de Matignon. Il fait applaudir le vote des immigrés aux
élections locales, conclut sur la culture.
En réponse à la question sur l'Europe, la salle éclate en sifflets
(majoritairement, me semble-t-il) ; il laisse quelques instants puis lance : "il
faudra respecter le suffrage universel", ce qui coupe le sifflet aux siffleurs ;
il note qu'il faudra une directive sur les services publics, et une
harmonisation sociale et fiscale. Il m'a semblé très bon orateur ; il est à
l'aise et sait hausser le ton, et bouger ses mains.
Ensuite, Marie-Ségolène. Meilleure ovation de la salle, qu'elle laisse monter.
Veste de tailleur rose, c'est important puisque Libé le remarque ; ajoutons,
pile la même couleur que le fond rose prévu par le Parti (elle est pistonnée,
j'vous dis). Presque tout de suite, première perle : "on se prend à rêver -- et
à espérer -- qu'en 2007 nous connaîtrons à nouveau un 10 mai 1981" ; j'éclate de
rire, et du coup je dois me faire expliquer le flottement de la salle : elle
vient de noter que le
26
octobre , c'est le jour de naissance de François Mitterrand (oubliant ainsi
Danton, le dernier Shah d'Iran, Hillary Clinton et Pascale Ogier ; au passage,
c'est aussi l'anniversaire de la mort de Gilles de Rais, de Carlo Collodi, de
Robert Antelme, du général Massu et de
Paul
Wellstone). Le flottement devient stupeur quand elle se met à raconter
l'inauguration du Zénith, et un concert avec Khaled et Cheb Mami. Les sifflets
commencent... la salle se révèle dissipée, en fait profondément partagée :
applaudissements, mais aussi sifflets nourris. Je doute pourtant que Désirs
d'avenir soit le mouvement le moins organisé de la salle : on avait le même
rendez-vous de départ qu'eux, et ils pressaient des groupes d'aller occuper
l'allée centrale.
En s'opposant explicitement à Fabius, elle dit que "même si on a un excellent
projet et un excellent bilan, le peuple français n'est pas forcément au
rendez-vous" : parle-t-elle de 2002 ? En tout cas, elle insiste plusieurs fois
sur le fait que "tout reste à faire" ; "il faut mettre le projet en mouvement" ;
avant d'embrayer sur un parallèle boiteux qui comprend un "autre" et une
"voisine". Elle insiste sur la crise démocratique, qui semble vouloir dire
"jurys citoyens" pour tout le monde, et se fait copieusement siffler. Elle
répète : "n'ayons pas peur du peuple !".
Seule sa formule finale est bonne : "En avant ! Du courage" (la valeur travail,
sans doute). Dans les réponses aux questions, elle propose que les étudiants du
supérieur aillent donner gratuitement des cours de soutien scolaire ; mes jeunes
camarades sont ravis. Quand arrive la question de l'Europe, elle éveille à
nouveau quelques rires en commençant très lentement : la France. prendra. la
présidence tournante. de l'Europe. au. . . . 1er juillet 2008. Il. faut. nous.
y. préparer... avant d'essayer de réconcilier ouiouistes (qui veulent une autre
Europe, même s'ils ont voté pour celle-ci), et nonistes (qui sont
jeunes
et issus de catégories populaires). Elle fait en trois parties :
intelligences (oui, il y a
plusieurs
intelligences), social (convergence des revenus minimaux, suppression des
fonds structurels aux entreprises qui délocalisent à l'intérieur de l'Europe,
tout ça dans un traité social...), environnement.
Drôle d'impression laissée par cette prestation, dans l'ensemble : des phrases
qui s'enchaînent souvent mal, de vraies fautes (inZurrection). Elle ne sait pas
non plus utiliser ses mains : ses gestes sont bizarres, décalés (notamment une
espèce de cuillère de la main droite, qui revient plusieurs fois). Je suis assez
prête à croire que c'est un exercice taillé pour des hommes : une belle voix
grave qu'on module et qu'on fait monter, ça aide drôlement. Malgré tout, elle
n'est pas seulement mauvaise oratrice ; elle renvoie plusieurs fois aux réponses
détaillées de Fabius pour mieux se lancer dans un vague diagnostic compassionnel
(accepter la France métissée comme réponse aux problèmes des banlieues).
Attribuons cela à mon enfermement dans un
habitus qui m'est propre, mais je ne
comprends pas l'engouement qu'elle suscite. J'en identifie des éléments : c'est
une jolie femme qui n'a pas l'air d'un tueur, et ceci n'est *pas* une façon de
la disqualifier. Surtout, il me semble qu'elle a peu varié depuis longtemps, en
traçant son sillon conservateur et familialiste, au sein d'une famille de gauche
(donc un créneau assez spécifique, qu'elle occupe depuis longtemps) ; en
redécoupant aussi, de façon systématique, "grands sujets" et "petits sujets" :
je pense à l'accouchement sous X (habituellement sujet mineur, alors que
la filiation est au centre de l'anthropologie d'une société), hier c'était le
microcrédit et les difficultés bancaires des pauvres.
Tout cela serait très bien, mais elle ne me convainc pas. Elle est très
souriante, mais archi-autoritariste, semble-t-il, quand elle est en position
d'ordonner ; et puis faire pleurer Margot ne suffit pas : il ne suffit pas de
donner l'impression d'écouter les vrais problèmes des vrais gens pour avoir,
ensuite, les moyens intellectuels de les résoudre. Son constant appel à un
peuple composé seulement d'une myriade d'individus (malheureux souvent, mais
toujours for-mi-dâbles), jamais représenté par des institutions (sauf par des
syndicats ?), ne me rassure nullement. De surcroît, elle n'était pas à son aise
hier soir, à tout le moins : or, la campagne se jouera sans doute beaucoup à la
télé, mais il y aura des débats et je suis rien moins que sûre qu'elle pourrait
y résister.
Arrivent DSK et son socialisme "joyeux, ouvert". À ce moment-là, je
commence à fatiguer, mais la salle se lève et l'ovationne. DSK se dit
"réformiste" (il revient plusieurs fois à l'idée de compromis, un "beau mot"),
"internationaliste" (et patriote aussi, car ça va ensemble) et "progressiste" :
il tape sur
Sarkozy qu'il
appelle "le Panaméen" parce qu'il veut supprimer les droits de succession, qui
existent presque partout sauf dans de très rares pays, comme le Panama...
(il oublie, ou fait semblant, que Bush tente de supprimer ces droits aux
Etats-Unis) ; et propose une sorte de patrimoine de départ pour tous. Contre la
dictature des sondages, il explique qu'il a entraîné tout le monde vers
l'acceptation du mariage homo en s'exprimant pour à un moment où cette position
n'était pas évidente. Sur la précarité, il fait applaudir les 35 heures, comme
il l'a fait un peu avant pour les emplois-jeunes.
Comme Fabius, DSK est un très bon orateur. Il module, parle bas, hausse le ton,
souligne son propos avec les mains ; surtout, la salle tout à fait acquise, il
est très à l'aise : je crois que c'est le seul qui réponde parfois aux
interpellations ("ne siffle pas mon camarade, je t'aime").
Arrive (enfin) le moment des conclusions ; les premiers spectateurs s'en vont.
DSK dit que la gauche va gagner si elle convainc qu'elle dit la vérité ; Ségo
répète que rien n'est fait, et que "la victoire se mérite" ; elle commence une
phrase par "à vous voir si chaleureux", qui fait marrer une partie de la salle.
Fabius achève les conclusions la voix quasiment cassée, en criant "Vive la
France !".
Précision
: l'ami Jean-Paul, le
Figaro
m'apprend qu'il s'agit de Jean-Paul Planchou, président du groupe socialiste au
Conseil régional d'Île-de-France.