lundi 25 septembre 2006
Haut(s) le(s) coeur(s)
Et pourtant, je m'étonne en lisant ces analyses par Eolas et Jules de trouver encore de nouvelles raisons de mésestimer et disqualifier ce personnage.
Je lui en sais gré. Ses manipulations grossières peuvent rafraîchir des capacités au dégoût qui risquaient de s'ensommeiller dans un cynisme désabusé.
On peut en effet légitimement différer d'opinions ou de doctrine sur la meilleure politique économique ou juridique à suivre mais il y a chez lui une sorte d'indifférence au souci le plus élémentaire de vérité ou même de vraisemblance dans le bobard qui laisse pantois (par exemple dans ses propos sur l'A.M.E. en juillet 2005).
Le problème n'est pas que cela me semble faux mais qu'on se demande même s'il peut feindre d'y croire.
Le problème de ces attaques récentes contre des juges n'est pas du tout la "séparation des pouvoirs" (comme le rappelle une personne intéressée, un ministre aurait le droit de parler de magistrats - et on n'a pas encore une crise aussi grave qu'aux USA avec la dérive de la nouvelle doctrine d'omnipotence exécutive, voir à ce sujet l'article drôle de Joan Didion sur Cheney).
[Une des attaques que je ne comprends pas contre Sarkozy est ceux qui s'inquiètent que le chiffre de régularisés ait été prévisible. Quel que soit le critère de régularisation, on peut faire des projections sur un échantillon sans qu'un complot soit obligatoire. Le problème est donc à la rigueur dans les critères ou dans le nombre atteint mais pas dans le fait qu'il soit si près de la prédiction.]
Le problème est plutôt l'instrumentalisation de ce dénigrement, cette capacité à dire n'importe quoi parce que les Français-savent-bien-que-j'ai-raison.
Le problème n'est pas une idéologie identifiable mais plutôt son absence totale de tout principe, une démagogie qui ressemble parfois à un sophiste d'opérette ou un nihiliste. Il n'y a même plus de conflit possible entre "éthique de la conviction" et "éthique de la responsabilité" puisqu'il n'y a plus rien de tout cela. En cela, Sarkozy est un vrai héritier de Chirac ou simplement son exacerbation (de même que Ségolène Royal et Montebourg jouent sur des ambiguïtés qui font directement penser à Mitterrand). Mais quand Chirac semble presque cohérent en comparaison, on sait qu'on est parvenu à un point de non-retour dans le N'importe quoi.
Et finalement, je ne comprends pas comment ce pays peut se contenter d'une telle médiocrité. D'un homme politique qui se préoccupe de ses plans photos avec des penseurs de la taille de Tom Cruise, Johnny Halliday ou Bush. Un homme qui reproche aux juges d'appliquer les lois telles qu'elles sont. Un homme qui fait avancer un accord avec le Sénégal uniquement pour qu'on ne voit pas trop une opposante au journal de 20h. Cela n'a rien de "facho". Ce n'est pas un danger pour la démocratie. C'est juste minable.
Il a aussi dit en un pseudo-Off qu'il méprisait la culture japonaise. Il visait en fait plus Chirac ou un de ses fils cachés mais quand on y songe, c'est bien plus grave et répréhensible que tout ce qu'avait pu dire cette idiote d'Edith Cresson sur les sociétés holistes avec esprit de ruche (l'ambassade de France avait magistralement tenté de faire croire que c'était une allusion flatteuse à la Cigale et la Fourmi et cela aurait pu marcher comme les Japonais adorent Fabre).
Il n'y a pas à être fier d'être français ni à cultiver une "culpabilité collective", il n'y a pas à toujours vouloir soigner notre Epoque de Ressentiment par une exaltation binaire (en bon généalogiste, Foucault avait ironisé sur cette culture de la "Fierté" comme thérapie des "identités"). Les mérites et fautes des parents devraient avoir perdu leur héritabilité.
Il n'y a pas non plus à avoir trop honte de ressentir parfois une certaine honte qui n'est qu'une façon d'avoir des ambitions plus élevées pour son pays. L'estime, l'admiration et l'affection irraisonnée, voire l'amour qu'on peut ressentir pour des individus, un pays ou une culture n'interdisent nullement ces autres émotions mais aussi l'intelligence et l'exercice du jugement ou de la nuance.
Schneiderman (je suppose que c'est lui, c'est non-signé) évoque des expériences un peu plus simples que le vrai "busing", une carte scolaire suisse fondée sur les transports collectifs.
Thomas Piketty rappelle ses analyses habituelles : au lieu de supprimer simplement la carte scolaire ou les ZEP (ou actuellement les "EP1") parce qu'elles ont échoué, il faudrait plus réduire les effectifs en ZEP (mais cela impliquerait d'augmenter le nombre d'enseignants dans le primaire et secondaire). Ce thème de la panacée par le nombre d'élèves est un leitmotiv chez Piketty qui répond directement à Sarkozy, voir Econoclaste.
A l'inverse, Piketty est pour plus de mise en concurrence dans le supérieur et dit que ce n'est pas le problème de l'école mais bien des universités. Mais Sarkozy et Royal ont tous les deux intérêt à ne parler que du primaire pour parler de thèmes plus consensuels et apparemment moins techniques, même si la vraie crise est ailleurs.