On n'a plus le style vibrant de Billmon, mais un de nos expatriés bi-nationaux, Bernard Chazelle, prof d'algorithmique, a un joli morceau de bravoure [en] (aussi chez Candide) sur les conséquences de la Guerre en Irak.

Le gouvernement voulait cette Guerre choisie, "ridiculement évitable", pour prouver "qu'ils le pouvaient", et l'effet est caricaturalement l'inverse, on s'imaginait mal à quel point ils ne pouvaient en fait plus se le permettre. Ils voulaient dissiper le Syndrome du Vietnam, ils l'ont aggravé. L'Empereur a tenu à crier qu'il se dénudait.

Je ne me rendais pas compte de cet ordre de grandeur que cite Chazelle (je traduis) :

La part de l'effort de guerre sur le Budget dépassera bientôt 600 milliards de dollars, plus que le Vietnam [en dollars actuels, la totalité de la Guerre du Vietnam avait coûté 549 milliards de dollars], plus que tout l'argent jamais dépensé pour la recherche contre le cancer.

Il y a un chroniqueur néo-con de NRO qui se prend pour Thucydide mais il aurait dû méditer le plus dramatique fiasco de toute la politique étrangère depuis que l'expédition d'Alcibiade à Syracuse détruisit l'impérialisme athénien (Histoire de la Guerre du Péloponnèse, VI). Certes, Bush fut moins talentueux encore qu'Alcibiade.

Le siècle sera encore américain pour quelques temps avant de devenir chinois et indien, grâce à l'avancée technologique de la plus grande nation industrialisée, mais l'ambition de l'Hégémonie unilatérale est brisée, ce qui pourrait rendre à nouveau le monde plus instable (la fin de la Guerre froide n'avait pas augmenté le nombre de conflits locaux).

Le plus gênant pour la société américaine, en plus des pertes d'image et de soldats (voire de quelques droits dans l'hystérie ?) est aussi une "faillite des élites". Les Sénateurs se sont presque tous couchés, excepté le formaliste Feingold qui refusa le Patriot Act. A part Krugman et Seymour Hersh, les voix critiques furent faibles dans les médias en 2003 qui redoutaient d'être accusés d'être des Hippies :

The war has given the American mainstream media a brilliant opportunity to prove its essential worthlessness. It has shown itself to be little more than a circus of entertainers and cheerleaders for whom every season is the silly season. Tragically, the media has failed in its sacred duty to keep a vigilant, skeptical, critical eye on the centers of power. Who is the American Robert Fisk, Gideon Levy, or Amira Hass? Whoever they are (and Sy Hersh proves they exist), why are their writings not filling the op-ed pages of the great American newspapers? How can the nation that produces the bulk of Nobel prize winners be stuck with such a sullen bunch of journalistic mediocrities? The sycophantic enablers of the Fourth Estate have blood on their hands.