La Bibliothèque de l'ENS a fermé l'emprunt des ouvrages et le personnel s'est mis en grève du zèle. Le Commissaire de la nouvelle exposition sur l'Affaire Dreyfus a démissionné à son tour, en refusant d'assister à l'inauguration aujourd'hui de l'exposition.

Tous les directeurs des Départements littéraires et la Directrice de la Bibliothèque ont publié le communiqué de presse suivant :

Les dix Directeurs des départements et bibliothèques littéraires de l’Ecole normale supérieure (Paris) ont adressé une lettre de démission collective à la Directrice de l’établissement (ci-dessous), Mme Canto-Sperber, le lundi 13 novembre.

Les signataires de cette démission entendent marquer leur désaccord profond avec les méthodes de gouvernement de Mme Canto-Sperber. Il s’agit d’une décision, grave et tout à fait inédite, des enseignants-chercheurs responsables de toutes les unités de formation et de recherche qui composent la partie « Lettres » de l’ENS, dont Mme Canto-Sperber affirmait, lors de sa nomination, qu’elle se donnait pour mission de lui redonner tout son lustre.

En réalité, depuis son entrée en fonction il y a un an, la Directrice de l’ENS, a certes obtenu un effort financier important de la part du Ministère de tutelle permettant à l’établissement de répondre à certains des défis de politique scientifique auxquels il est confronté, mais elle a aussi multiplié les initiatives et les décisions personnelles.

Les directeurs des départements et bibliothèques littéraires sont amenés à constater en outre que toutes ces décisions ont été prises sans concertation préalable, et souvent sans connaissance approfondie des dossiers.

Le malaise patent dans les départements et les services, dû à ce gouvernement chaotique, s’est aggravé au cours de ces dernières semaines : décision de tarifs élevés pour les lecteurs de la bibliothèque, contre l’avis du comité mandaté pour examiner cette question ; modalités d’application du nouveau diplôme ENS allant à l’encontre des engagements pris par le passé à l’égard des élèves ; mise en échec de négociations entreprises de longue date et visant au rapprochement des concours littéraires des ENS de Paris et de Lyon et à l’amélioration générale des classes préparatoires littéraires (« hypokhâgnes » et « khâgnes ») ; désaveu public des professeurs expressément mandatés pour cette négociation, sans que ceux-ci puissent s’exprimer, etc. Plus généralement, les départements littéraires ne sont pas tenus informés des décisions les concernant. En revanche, chaque département a subi des interventions discrétionnaires dans le détail de sa politique scientifique et internationale, dans le choix des Commissions de spécialistes (pour le recrutement de nouveaux enseignants) ou leur fonctionnement. Les directeurs de département ne sont pas consultés sur les orientations financières, dont certaines sont opaques. Les signataires de cette démission collective, à laquelle se sont associés d’autres responsables de l’ENS, estiment qu’ils ne peuvent plus travailler dans un climat de confiance et que la Directrice porte la responsabilité de ces graves dysfonctionnements.

Même le Canard enchaîné évoque l'affaire :

La hussarde de l'Elysée à Normale Sup'

Tempête jamais vue à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm : les dix directeurs de l'Ecole ont démissionné en bloc, le 13 novembre, pour protester contre leur patronne, Monique Canto-Sperber, que Chirac avait bombardée à la direction voilà tout juste un an. Ils l'accusent, dans une lettre commune, de mentir publiquement et de prendre seule des décisions "mal préparées, inconséquentes ou dommageables". Ses méthodes "autocratiques" sont également dénoncées par les élèves.

Mais c'est le projet d'instaurer des droits payants à la bibliothèque qui a fait déborder le vase. Il a été adopté par un vote que la directrice s'est félicité d' "emporter à la hussarde" à une voix de majorité, lors d'un conseil d'administration très houleux, le 16 octobre.

En fait la nomination de cette ambitieuse prof de philo de 52 ans avait été imposée il y a un an par une seule personne : non pas Chirac, mais sa conseillère à l'Elysée, Blandine Kriegel. Cette autre spécialiste de philosophie politique avait carrément mis sa démission dans la balance face aux nombreuses réticences exprimées au sein du gouvernement.

Une insurrection des profs et des élèves en moins d'un an, c'est un vrai boulot de pro. Il faut dire que Chirac a toujours eu du flair pour nommer qui il fallait où il fallait : Ferry à l'Education, Douste au Quai d'Orsay...

Je ne pensais vraiment pas (pour le peu que j'en aie entendu) que le facteur Kriegel ait été si déterminant, même s'il est déjà intéressant. Kriegel, compagne d'Adler, a eu un parcours particulier, du Chevénementisme anti-européen à un Chiraquisme qui semblait assez traditionnel dans son conservatisme. MC-S est censée être une sociale-libérale proche de Bockel, voire DSK. A l'époque, le Directeur Ruget avait surtout souffert du désastre budgétaire de la fin de son quinquennat, et MC-S a donc plus bénéficié de l'effet "Tout Sauf Ruget" que de Kriegel.

Enfin, le vrai coupable pour Ferry est Raffarin plus que Chirac, qui ne semble pas l'avoir apprécié. En revanche, oui, Douste, c'est vraiment de sa faute.

Plusieurs rumeurs courent. L'une est que MC-S ne se retirera pas. L'autre est que Matignon cherche une solution à l'amiable, comme une "promotion" pour la convaincre de partir, avec quelque fromage comme le grotesque Conseil d'analyse de la société de Luc Ferry. Le dernier Directeur de l'ENS qui a démissionné était l'helléniste Robert Flacelière (mandat de 1963 à 1971). L'Ecole avait été occupée par quelques gauchistes en 1970, l'Ecole avait été fermée pendant quelques temps et le Président de l'époque, Georges Pompidou, avait alors nommé un nouveau directeur, l'archéologue Jean Bousquet (deux quinquennats pleins de 1971 à 1981, depuis lors tous les Directeurs ont duré 10 ans sauf Georges Poitou, mort en fin 89, et Gabriel Ruget, non renouvelé en 2005).

Ce qui m'étonne le plus chez MC-S est son incompressible envie d'en faire trop, comme le faisait remarquer Contrebande. Elle prend la même année la Direction d'un établissement, avec des lourdeurs administratives qu'elle ne semblait pas savoir déléguer, un cours en plus à l'X où elle remplace Jean-Pierre Dupuy, et une émission radio hebdomadaire, dont j'imagine qu'elle représente quand même un peu de travail.